Dix propositions pour moderniser la gouvernance hospitalière

Les Ateliers Mercure


Introduction

Les propositions formulées ci-dessous sont le fruit d’un travail pluridisciplinaire. Pendant 5 mois, nous avons interviewé des professionnels et acteurs des hôpitaux afin de faire un inventaire des points de blocages et axes d’amélioration concernant la prise de décision à l’hôpital. Nous avons ensuite synthétisé et hiérarchisé leurs réponses, pour aboutir à 10 propositions visant à moderniser la gouvernance hospitalière en France.

Quatre objectifs :

  • Renforcer l’attractivité de l’hôpital public pour recruter et pérenniser les agents

  • Redonner du sens aux professionnels à l’hôpital

  • Mieux intégrer les soignants dans la prise de décision

  • Favoriser la communication et la coopération entre les acteurs



1. Créer une nouvelle valence hospitalière autour du «management»

Au même titre que le soin, la recherche, ou l’enseignement, la gestion de l’humain au sein d’une équipe soignante fait partie intégrante du quotidien des personnels de l’hôpital. Souvent regroupée sous le terme de « management », cette valence fait référence à de nombreuses compétences souvent peu reconnues à ce jour dans le secteur public, mais essentielles au travail en équipe : communication non-violente, stratégie de résolution de conflit, gestion d’équipe, coordination des acteurs, prise de décision concertée.

Un mouvement en ce sens s’est opéré récemment à l’hôpital par le biais des cadres paramédicaux (2010), mais reste encore trop abstraite pour les autres filières. Nous proposons donc de formaliser le « management » en tant que véritable 4ème colonne de l’hôpital public (en plus du soin, de la recherche et de l’enseignement), afin de mieux tenir compte des compétences qui s’y rapportent. Cela implique la création ou l’identification de formations dédiées (DU, DIU, EHESP, etc.), une grille de rémunération spécifique conséquente pour les activités managériales exercées au sein de l’hôpital, en sus de celles existantes pour les autres activités (universitaires notamment), ainsi qu’un temps dédié pour les agents concernés pour mener à bien ces missions.

Bien qu’il ne fasse pas partie des finalités premières de l’hôpital (qui restent le soin, la recherche et l’enseignement), il nous semble que le management joue un rôle primordial pour l’exercice de celles-ci, et que les missions qui s’y rapportent (encadrement, organisation en équipe, etc.) doivent être mieux valorisées qu’elles ne le sont actuellement. La notion de « mission managériale » est primordiale pour que les fonds dédiés soient effectivement fléchés vers personnels concernés.

De fait, de nombreuses personnes exercent déjà ces missions, sans que celles-ci ne soient suffisamment reconnues. Cette « nouvelle » valence nous semble donc être également un excellent levier d’attractivité pour l’hôpital public. En effet, quel que soit le plan de carrière des personnels hospitaliers (carrière hospitalière, transition vers une structure privée, exercice libéral, en Maison de Santé Pluridisciplinaire (MSP), en centre de santé), les qualifications acquises sur le plan managériales pourraient constituer un atout dont ils pourront se prévaloir.


2. Créer un poste de coordonnateur du service

Les trois branches professionnelles - médicale, paramédicale et administrative - coexistent en silo dans le fonctionnement de l’hôpital public en France et présentent des difficultés lorsqu’il s’agit d’articuler des décisions entre les lignes hiérarchiques et la gestion des équipes. Cela est parfois dommageable pour l’efficacité du service et donc pour la production de soins de qualité. En effet, en tant qu’unités opérationnelles des établissements de santé, les services pourraient gagner à une meilleure intégration des différents professionnels qui y exercent.

Nous proposons de décloisonner, à l’échelle des services, les trois branches professionnelles, selon des modalités qui doivent être définies localement, en fonction des tailles et des caractéristiques des services. Cela peut se traduire par exemple, là où cela semble pertinent, par la création d’un coordonnateur de service, qui serait en charge des fonctions managériales du service :

  • Le chef de service conserve les missions de décisions stratégiques relatives aux soins, aux projets scientifiques du service, et à l’enseignement médical

  • Le coordonnateur de service, nommé par le chef de service et sous son autorité, se consacre à la valence managériale, dont la fonction est la gestion des équipes et leur bon fonctionnement quotidien pour la production de soins

Concernant ce nouveau rôle de coordonnateur de service :

  • Son champ d’application s’étend à tout le personnel du service (médical, paramédical et administratif), dans un but de décloisonnement nécessaire

  • Il s’agit d’un personnel hospitalier (issu du soin ou de l’administration) ayant une formation managériale (par exemple via l’EHESP)

  • Il sert également de relai entre le service et le département des ressources humaines de l’hôpital

  • Il doit justifier d’une formation adéquate (gestion d’équipe, management dans le soin) et bénéficie d’une prime dédiée

L’articulation avec les agents exerçant d’ores et déjà des fonctions managériales (cadre de santé, etc.) doit être pensée en fonction de la réalité du terrain. Une stratégie similaire de décloisonnement peut aussi être envisagée au niveau des pôles d’activité.


3. Améliorer l’intégration des internes / étudiants en santé

Nous avons recueilli de nombreux retours des étudiants en santé qui font part de leur sentiment de solitude lors de leur arrivée dans un service hospitalier, associé à un mal-être ou des difficultés de communication entre professionnels. En prenant l’exemple des internes en médecine, nous proposons la création d’un nouveau dispositif, inspiré d’un système ayant fait ses preuves à l’international, qui s’inscrit en droite ligne de la création d’une valence managériale au sein de l’hôpital.

Ce système repose sur la désignation d’un “interne-buddy” au sein de l’équipe soignante, et d’un “interne référent” parmi les internes du service :

  • L’interne-buddy (choisi parmi les médecins ou paramédicaux du service) a pour fonction d’accueillir les internes, leur permettre de se familiariser avec leur nouvel environnement de travail, d’assurer leurs repos de garde, d’apporter une aide dans la résolution de conflits existants avec l’équipe de soin, et de faire la jonction avec les responsables encadrants, qu’ils soient administratifs ou médicaux. Il peut s’agir par exemple de l’une des missions du coordonnateur du service évoqué ci-dessus.

  • L’interne-référent (choisi parmi les internes) occupe la fonction « miroir » du précédent. Il permet la remontée de difficultés, aide à résoudre les conflits entre internes, et s’assure qu’ils bénéficient de conditions de travail convenables.

Ces missions, parfois déjà assurées dans les services, doivent s’accompagner de formations dédiées à la communication et à la gestion d’équipe, à la collaboration, et à la résolution de conflits. Par ailleurs, elles devraient également être valorisées par des primes dédiées.

L’interne-référent est une fonction complémentaire à celle du représentant des internes au sein de la CME, mais se situe à un échelon plus proche du terrain. Cet échelon peut être le service ou le pôle, afin de rester pertinent vis-à-vis du nombre d’internes concernés.

Enfin, cette proposition est extrapolable à l’ensemble des étudiants en santé (infirmiers, aides-soignants, etc.), qui changent régulièrement de services au cours de leur cursus, et nécessitent un référent de confiance au sein de leurs lieux d’accueil.


4. Créer un outil collaboratif de remontée d’information

Le personnel hospitalier est confronté à des difficultés pour partager les problèmes qu’il peut rencontrer au quotidien, et pour faire des propositions d’amélioration rapides et adaptées. Au fil des entretiens que nous avons mené avec différents acteurs de l’hôpital, nous avons identifié que la souffrance au travail et le manque de sens perçu, trouvaient en partie leurs causes dans l’absence d’implication dans les décisions quotidiennes et l’impossibilité de remonter les défaillances. Le personnel est noyé dans une trop grande verticalité et distance entre la direction et le corps médical/paramédical.

Cette remontée d’information (« bottom up ») et la participation à des décisions opérationnelles (« top down ») pourraient être mises en place grâce au développement d’un outil numérique de communication interne disponible pour tous à tout moment. Cet outil numérique offrirait un cadre à la fois libre et sécurisé pour communiquer plus simplement entre les différents échelons. Le personnel pourrait ainsi être impliqué dans la vie de l’hôpital, remonter les situations à risque (harcèlement, « burn out »), participer à des questionnaires, des sondages proposés par la direction ou leur manager, afin que leur ressenti et leur point de vue soit mieux intégré dans la prise de décision.

Le déploiement de cet outil peut poser des enjeux d’accessibilité pour les personnels n’ayant pas accès à un ordinateur dans le cadre professionnel. Il ne doit donc pas se restreindre au cadre « intranet » classique, et doit au contraire être pensé de façon à ce que tous les agents puissent s’en saisir.


5. Revoir le mode de désignation des chefs de service / de pôle

Une des priorités de la médicalisation de la gouvernance des hôpitaux passe par l’implication des soignants dans la désignation de leurs chefs ; depuis 2016, les chefs de services et de pôles sont nommés par le directeur de l’hôpital sur proposition du président de la CME, qui doit présenter des candidats dans des délais contraints. Cette nomination est discrétionnaire et parfois perçue comme opaque par les soignants.

Nous proposons de modifier les modalités de désignation du chef de service :

  • Les candidatures doivent se faire sur projet médical (en cohérence avec le projet médical d’établissement), avec objectifs de fin de mandat ; cela permet de mettre en avant les compétences du candidat, son implication, sa connaissance du fonctionnement de la structure dans laquelle il évolue, plutôt que ses accointances.

  • La prérogative de désignation du chef de service doit être définie localement, afin de répondre aux problématiques spécifiques rencontrées sur le terrain. Elle peut par exemple revenir au président de la CME, sur proposition du chef de pôle, et soumis à un accord majoritaire par la CME ; ainsi, les représentants du corps soignant redeviennent directement acteurs de la désignation leurs chefs. Elle peut aussi faire l’objet d’une élection au sein du service si cela permet de renforcer sa légitimité, tout en veillant à éviter l’entretien ou l’émergence de logiques claniques au sein des équipes.

  • Le mandat resterait limité à 4 ans, renouvelable sur avis de la CME au regard des objectifs réalisés, mais aussi révocable par la CME ou par le directeur de l’hôpital en cas de manquement grave à ses obligations.


6. Revoir le recrutement et la nomination des Directeurs d’Hôpitaux

Nous proposons également de changer le mode de recrutement des directeurs hospitaliers en augmentant la part d’élèves issus du concours interne, sur le modèle de l’École de Guerre (c’est-à-dire en recrutant des candidats avec une expérience professionnelle dans le milieu du soin : cadres administratifs hospitaliers, médecins, cadres infirmiers, cadres médico-techniques, etc.).

Surtout, nous proposons de mieux distinguer la dimension « métier » (le fait de diriger effectivement un hôpital) et la dimension « corps de l’état ». Le rôle de l’EHESP doit être la formation « métier », tandis que celui du CNG doit se concentrer sur le recrutement « du corps ». Bien entendu, les DH recrutés par le CNG ont toujours vocation à être formés par l’EHESP, mais les formations délivrées par l’école doivent continuer à s’ouvrir à d’autres profils. Les DH « du corps » ont une expertise certaine indispensable à la gestion des établissements, mais il est nécessaire de diversifier les profils des directeurs d’hôpitaux (sur le versant « métier ») afin d’inciter les soignants les plus motivés et investis à prendre leur part dans la gouvernance hospitalière. En ESPIC, quelques expériences en ce sens (direction de l’établissement confié à un soignant, épaulé par des DH « du corps ») ont donnés des résultats très satisfaisants. En effet, les soignants ont une connaissance du terrain, et un attachement souvent pérenne à leur établissement, qui peut leur conférer une légitimité parfois utile pour lever certains points de blocage.

Enfin, le turn-over parfois très important de la direction hospitalière peut donner le sentiment que ces postes ne sont qu’un tremplin de carrières pour les directeurs d’hôpitaux. Nous proposons de définir une durée de mandat (par exemple 4 ans), renouvelable, pour le poste de directeur d’hôpital, et de conditionner la nomination au sein d’un autre établissement public à l’achèvement d’au moins un mandat. Cela permettra d’assurer un minimum de continuité dans l’action de la direction hospitalière.


7. Médicaliser la stratégie hospitalière

L’efficience hospitalière, et la bonne gestion d’un établissement, ne peuvent être atteints que si le corps médical et le corps administratif travaillent de concert. Or, depuis 2009, la loi HPST a déséquilibré les rapports de force entre ces deux fonctions, et créé un clivage perçu comme délétère par le personnel soignant.

Nous proposons donc de renforcer le rôle des médecins dans la stratégie hospitalière, en réformant les Directoires déjà existants en Comité Stratégique :

  • Le Comité Stratégique inclut tous les chefs de service (ou de pôle selon la structure), le Président de la CME, le Président de la CSIRMT, et le Directeur d’Hôpital. Sa Présidence est assumée par le Président de la CME, et la Vice-Présidence par le Directeur d’Hôpital.

  • Le Comité est chargé d’élaborer et suivre les grandes orientations stratégiques de la structure.

  • Le Comité peut arrêter une part du budget destinée en autonomie aux services (ou aux pôles), selon le principe de subsidiarité.

  • Le Comité peut également créer d’autres instances chargées de missions particulières, et leur déléguer un budget spécifique (cf. point 9).


8. Création d’un « flexi-budget » de service

La création des GHT a inscrit le service, unité opérationnelle de l’hôpital, dans un projet médical territorial permettant de répondre aux besoins de santé d’un bassin de population. Cela s’est fait au prix d’une certaine perte de flexibilité, notamment sur le plan logistique. La centralisation des achats, si elle fait sens dans le cadre de la stratégie du GHT, restreint la capacité du service à s’adapter aux demandes et besoins du personnel en terme de matériel léger

Il est nécessaire de pouvoir accéder ou remplacer au plus vite certains objets et outils du quotidien au sein de chaque service. Nous proposons d’allouer une enveloppe “petit budget”, gérée directement à l’échelle du service, pour répondre aux besoins du quotidien, rapidement et efficacement. Dans les faits, cela est déjà possible et existe dans certaines structures (Valencienne, Lens, etc.). Nous proposons de lever les éventuels freins législatifs qui persistent, mais surtout de mettre en place un groupe de travail avec des représentants des différents hôpitaux qui fonctionnent déjà comme cela, afin de partager leur retour d’expérience et d’élaborer un guide pratique de mise en place du dispositif à destination des autres établissements.

Cela permettrait de gagner en agilité pour que les problèmes soient traités de façon optimale, sans passer systématiquement par les centrales d’achat et éviter ainsi les longs délais administratifs qui y sont parfois associés. Cette proposition permet aussi de développer et répondre aux demandes d’autonomisation et de responsabilité des équipes.


9. Encourager l’innovation organisationnelle à l’hôpital

Le manque d’attractivité de l’hôpital public est un phénomène multifactoriel. Au-delà de rémunérations moins compétitives que celles du secteur privé, l’un des problèmes souvent évoqués est celui de la rigidité du système, de sa faible réactivité, de sa lenteur et de la réticence à l’innovation. De nombreux soignants, pourtant volontaires et engagés, y compris pour inventer des solutions pratiques et organisationnelles, se voient freinés par un système sur-administré reposant sur une hiérarchie très verticale.

Nous proposons donc la mise en place d’une instance disposant d’un budget et dédiée à l’incubation et la promotion de projets innovants, quand bien même ceux-ci nécessiteraient une dérogation au fonctionnement actuel de l’établissement. Pour les personnels hospitaliers, il s’agit donc de pouvoir proposer une innovation organisationnelle à cette instance, qui peut l’autoriser, la financer, et l’accompagner. L’administration de l’hôpital peut être sollicitée en appui pour les questions techniques et juridiques, si besoin.

Afin d’éviter les blocages hiérarchiques trop souvent constatés sur ce type d’initiatives, nous proposons que l’instance en question soit dédiée spécifiquement à cette mission, et que ses membres soient désignés par le Comité Stratégique sur la base de compétences spécifiques, sans cumul possible avec d’autres fonctions hiérarchiques au sein de l’établissement (pas de chefs de service ou de pôle, etc.). En effet, l’objectif de cette instance est précisément d’offrir une voie alternative à l’élaboration de projets innovants et d’éviter les freins hiérarchiques en court-circuitant l’organigramme pyramidal de l’établissement.


10. Créer une plateforme nationale de recrutement pour l’hôpital public

Parallèlement à la proposition précédente, renforcer l’attractivité de l’hôpital public passe aussi par une meilleure visibilité des avantages dont bénéficient les professionnels qui y travaillent. Il nous semble aujourd’hui indispensable de riposter face aux pratiques de recrutement offensives des sociétés d’intérim, qui offrent la possibilité de trouver des remplacements à l’hôpital en quelques clics pour des rémunérations très élevées.

Or, l’exercice hospitalier offre des avantages et des opportunités uniques qu’il conviendrait de mieux valoriser. Outre la valence universitaire présente notamment en CHU, de nombreuses structures proposent, par exemple aux jeunes professionnels, des budgets de formation parfois conséquents et donc très attractifs en début de carrière. Ces dispositifs manquent néanmoins de visibilité pour attirer les jeunes diplômés vers l’exercice hospitalier.

Nous proposons donc la création d’une plateforme d’offre d’emploi au sein de la fonction publique hospitalière, dédiée aux soignants, où pourraient figurer, outre les caractéristiques du poste proposé :

  • Les attributs du service ou de la structure (centre de référence, polyvalence d’activité, etc.)

  • La possibilité de participer à des projets de recherche hospitalière

  • La qualité du plateau technique et l’accès à l’innovation (imagerie de pointe, etc.)

  • Les opportunités en terme de formation continue

  • Les avantages en nature liée à l’exercice au sein de la fonction publique

  • La possibilité de participer aux instances de décisions de la structure (CME par exemple)

Ces différents éléments nous semblent être d’excellents leviers d’attractivité, et gagneraient à être mieux valorisés par les établissements publics de santé.



Contributeurs

Auteurs : Louis ANJOU, Martin BRENIER, Martial JARDEL, Guillaume MARTIN, Pauline MARTINOT, Nicolas METON, Axelle N’CIRI, Dinh-Phong NGUYEN, Camille PETRI, Raphaël VEIL

Contributions et Interviewés : Jean-Yves BLAY, Cyrille COLIN, Philippe COLOMBAT, Lorène COULANGE, Ali ESKANDANIAN, Julia GUDEFIN, Eric JACQUES, Marion LECORGUILLE, Hugues LEFORT, Hossein MEHDAOUI, Julie PAVILLET, André SIMONNET, Karim TAZAROURTE, Magali WAQUET


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